Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Lettres de lEst

27 janvier 2006

Rien n’est encore joué dans l’Ohio

Le séminaire d’intégration au Ventron culmine avec le vote de la promotion, le mardi soir, sur le nom qu’elle se donne.

Le lundi, nous avions remporté une première victoire, en imposant, avec un score über-gaullien de 80%, la procédure de vote proposée par Victor. Un truc inventif et drôle, où chaque électeur doit voter pour trois noms qu’il classe selon un ordre, le premier recevant trois points, le second deux, le dernier un (au premier tour, on retient 30 noms, puis 10, puis 6, puis 4, puis 3, puis 2). Cela permet d’éviter des dilemmes (Corinne Lepage ou Brice Lalonde ?), qui conduisent à des frustrations, au vote utile ou au 21 avril. Le but était aussi de favoriser les propositions consensuelles, et d’éviter une finale Mitterrand-Lyautey, avec une victoire à l’arrachée qui écœure la minorité. Et en plus, ça donne des décomptes de résultats rigolos, façon Eurovision (« Charlemagne, 10 points »).

Tristan D., visiblement frustré que sa proposition « non consensuelle » ait fait un score infra-madelinien (2%), a mené l’attaque pour détricoter par amendements la procédure « Victor ». Il a notamment réussi à faire adopter le principe d’une procédure de minorité de blocage. Celle-ci a d’ailleurs donné lieu à un effet « noniste » : une majorité (53%) s’est prononcée pour le recours à la minorité de blocage. Puis, quand on a commencé à en discuter, on s’est rendu compte qu’on ne savait pas trop comment l’appliquer : à quel tour ? selon quelles modalités ? Bref, une majorité s’était dégagée sans savoir pour quoi elle se prononçait. Certains se sont d’ailleurs rendus compte de leur connerie, et voulaient un second vote. Finalement, on a adopté un truc bancal.

Enfin, le mardi soir était venu. Pour Bethânia et moi, c’était le moment de voir aboutir une longue pré-campagne pour Badinter.

Au premier tour, il y a 110 noms proposés. Beaucoup n’obtiendront pas de voix. Je vote, au premier tour, Badinter-Brandt-Bourdieu.

Schuman et Delors partent tout de suite très loin devant. Césaire est 3ème, et, horreur, Lyautey est 4ème.

Bethânia et moi sommes satisfaits : Badinter est en 7ème position, devant Mitterrand. Avec un peu de chance, on pourra l’emmener au second tour.

Au second tour, l’élimination promet d’être brutale. Je vote Badinter-Union européenne-Delors.

Schuman et Delors restent très loin en tête. Hélas, notre héros trébuche d’une voix.

Regardons ce qui reste : il y a Kafka, à une surprenante 4ème position. L’inévitable Aron, et le tout aussi inévitable Churchill, éternel finaliste. Zweig est toujours là. Et des choix inattendus : Nuit du 4 août, Aristide Briand, Érasme, Marie Curie.

Chacun réfléchit intensément. Schuman, avec sa première place, suscite une forte animosité, sur sa gauche comme sur sa droite. Puis la rumeur circule qu’il aurait voté les pleins pouvoirs à Pétain ; vérification faite, il a même été ministre du premier gouvernement Pétain – qu’il a quitté très vite, pour entrer en résistance, ce qui lui a valu d’être déporté. Mais la première partie de l’information se répand comme une traînée de poudre.

Pour ceux qui, à gauche, ont vu leur héros (Mitterrand, Badinter, République, Laïcité) être éliminé, Nuit du 4 Août apparaît comme le recours. Ce sera mon premier choix. Puis je regarde la liste : Briand, c’est pas trop mal, et en plus il est 6ème, donc en danger d’être relégué s’il fait un mauvais score, ou de virer Churchill s’il fait une bonne performance. Ça fait un bon second choix. Puis Delors en dernier choix, ça ne me déplaît pas, et voter pour quelqu’un en tête, ça n’a pas d’effet sur le classement.

Surprise au troisième tour. Schuman et Delors s’effondrent et sont éliminés. Le nouveau leader est la Nuit du 4 août, qui a dû bénéficier de reports massifs. Briand progresse aussi et se hisse à la deuxième place, contre toute attente. Zweig et Kafka ont aussi été éliminés. Restent donc Érasme, Marie Curie, Churchill, Aron.

En vue du 4ème tour, apparaissent deux nouveautés procédurales : la possibilité d’inscrire sur son bulletin un nom auquel on s’oppose fortement, qui sera éliminé en cas de 35 mentions en ce sens, et une prise de parole de 3’ par une personne sur chaque candidat. 

Alors qu’on envisage le 4ème tour, l’atmosphère se crispe. Aron suscite l’hostilité de « la gauche », et devient le porte-étendard de la droite. La Nuit du 4 août est clairement le candidat de la gauche, et suscite trois types d’oppositions :

-          celles des élèves étrangers, qui affirment que le nom est inconnu chez eux ;

-          ceux qui disent que l’Ena fustigeant les privilèges, c’est hypocrite ;

-          ceux qui sont probablement nostalgiques, ou détestent en Nuit du 4 août le refuge des socialistes en déshérence.

Les prises de parole se suivent : un duo feutré pour Marie Curie, une fille un peu nunuche sur Churchill, Franck-Philippe, enjoué, pour Érasme, Pierre, intellectuel et combatif pour Aron, un duo de Jérômes pour Nuit du 4 Août, Briand.

Pour moi, il faut sauver le 4 Août de la confluence de cabales qui se montent, pousser Briand, second choix très acceptable, et éliminer Aron et Churchill. Ce qui donne : 4 Août, Briand, Érasme, et objection à Aron (je pense que Churchill sera plus facile à attaquer).

Le décompte des voix montre une promotion clivée au possible, avec trois types de bulletin : Nuit du 4 Août-Briand – Curie ou Érasme – objection à Aron, Aron – Churchill – Curie ou Érasme – objection au 4 Août (les bulletins que Sébastien rebaptise « Vendée Libre ! »), Érasme – Curie – Briand ou Churchill.

Assez vite, Aron et la Nuit du 4 Août décrochent ; Nuit du 4 Août, en 5ème position, est éliminée, et recueille 39 objections ; Aron est dernier, et recueille 29 objections.

Briand est désormais premier. Il était passé inaperçu parmi les 110 candidats, et sa présence aux premier et second tour était des plus discrètes. L’agitation autour de la Nuit du 4 Août et d’Aron l’avait un peu fait oublié. Et maintenant, il est en tête, mais sans excès.

Churchill, Érasme et Curie, qui le suivent, sont dans un mouchoir de poche.

Avant le 5ème tour, la procédure prévoit des prises de parole de 2’ contre chaque candidat, suivies d’une réponse de leur défenseur.

Un souci de lentille me fait louper les débats sur Curie. Tristan D. attaque Érasme, pour fustiger « une procédure qui favorise les choix mous » (ça sent le revanche) et « une Europe des intellectuels » (ça sent le 29 mai). Simon tente une stratégie provoc et décontractée contre Briand, « monstre de souplesse », Francis riposte avec talent.

Je me suis inscrit contre Churchill.

Je prend le parti de l’attaque brutale – un peu hystérique, amplifiée par le fait que je parle trop près du micro. « Un grand homme, oui. Enfin, dès juillet 1945, certains n’en ont pas été convaincus, ce sont les Anglais qui l’ont rejeté aux élections juste après la victoire. Ils avaient peut-être des raisons pour ça ». Et j’égrène ses échecs intérieurs : son acharnement colonialiste ; l’étalon-or, « désastre économique et régression sociale » (là, Bethânia a souri devant mon ton de meeting de la CGT) ; son opposition à la Sécurité sociale. Puis ses fautes extérieures : une expédition anti-bolchevique dérisoire, une politique accommodante à l’égard de Mussolini, son ambiguïté à l’égard de la construction européenne ; et surtout, et surtout, « DRESDE, 130 000 MORTS ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! » (là, j’ai dû assourdir les premiers rangs en beuglant dans le micro), et « la Conférence du Moscou, où, sur un coin de table, il a offert les peuples d’Europe centrale et orientale en pâture à Staline : à l’heure de la réunification de l’Europe, est-ce une telle faute que vous voulez honorer ? »

Je n’ai pas forcément emporté l’adhésion, mais je n’ai pas laissé indifférent. Mon hurlement sur Dresde a fait frémir l’audience, et j’ai été suivi d’applaudissements qui honoraient tout autant l’énergie et le ridicule de cette prestation excessive.

Vient le vote. Dans les premiers décomptes, Churchill part loin en tête, les trois autres se partagent les miettes. C’est le désespoir. Après s’être déchaînée contre le 4 Août, la promotion se précipite sur un vieil aristo anglais un peu crapuleux. Puis les choses se calment. Briand monte tout doucement. Autour des 100 points, il dépasse doucement Churchill, puis continuera à monter en pente douce pour distancer les trois autres d’assez loin. Ça sent le roussi pour un des deux autres, surtout pour Marie Curie. Sur la fin, Érasme et Curie remontent ; à quelques bulletins de la fin, Érasme et Churchill sont au coude à coude. Et c’est là que se produit l’incroyable : Marie Curie rafle les premiers choix des derniers bulletins. Score final des trois derniers : 140 pour Curie, 138 pour Érasme, 135 pour Churchill. Stupeur chez les churchilliens, soulagement chez leurs adversaires. Je m’entends alors dire : « Tu l’as bien flingué, Churchill ».

 

Pour les deux derniers tours, la tension chute. C’est vrai que le choix n’a plus rien de dramatique.

Au 6ème tour, Curie est éliminée, mais, ayant cru remarquer que les curistes préféraient Érasme, je ne donne plus très cher de la peau de Briand. Je parie avec Bethânia sur une victoire d’Érasme à 55/45.

7ème et dernier tour (« Briand et Érasme, une finale qui passionnera autant que Costa Rica – Finlande au prochain mondial », commente Sébastien). Le dépouillement a désormais un rythme particulier : ce n’est plus le balancement « Badinter 3, Delors 2, Mitterrand 1 », mais c’est un truc tranché : « Érasme, Briand, Briand, Érasme ». We fade to grey passe en fond, ce qui donne un côté un peu théâtral au truc. Pendant le premier tiers des bulletins, les deux se tiennent. Puis Briand décolle. Il écrabouille Érasme à 58,8%.

Increvable, ce vieil Aristide. Il a su se faire discret et pas menaçant au début ; il a attendu trois tours avant de prendre la tête, sans jamais paraître sûr de gagner. Jusqu’au dernier moment, rien ne lui aura semblé acquis. Et au total, il les a tous enterrés. Bien joué, mon vieux.

Publicité
Publicité
27 janvier 2006

Voyage en Kafkanie

Un mot d’accueil de *Caïus Pupus* nous attendait à Paris. On nous le ressert à Strasbourg, et on nous le resservira à Ventron.

Principes essentiels du fonctionnement :

1) Maintenir les élèves sur place un maximum de temps.

La première semaine de cours, nous étions censés avoir cours de 9h à 18h (pause d’une heure le midi), puis des conférences de 19h30 à 21h30.

On apprend alors à attendre. Parce que ceux avec quoi on nous occupe est très peu dense. Lors du séminaire de négociation, j’ai le sentiment d’avoir passé le plus clair de mon temps à attendre que ça se passe. Les plages horaires réservées sont surdimensionnées : 45 minutes pour visiter une bibli de trois salles moyennes ; trois heures pour un QCM réalisé en une heure ; 40 minutes pour une évaluation d’anglais où on parle trois minutes.

2) Le doublon, c’est bon

Toute information (planning de la semaine, organisation des élections de la délégation, etc…) est communiquée à la fois :

-          dans l’un des innombrables livrets dont nous avons été accablés le jour de la rentrée ;

-          par mail collectif ;

-          sur un tableau d’affichage ;

-          par une note diffusée dans les casiers individuels des élèves, alimentés par deux ou trois tournées quotidiennes.

Les réunions d’information de janvier ont à peu de choses près répété les informations de décembre.

La répartition des élèves par chambre lors du séminaire d’intégration a été présentée une première fois en ventilation par chambre, et une seconde fois avec une ventilation par élève.

Par contre, pour des raisons qui nous échappent, l’École n’a pas été en mesure de nous diffuser, ne serait-ce que par mail, un exemplaire de la liste des affectations en stage des élèves.

3) L’autonomie c’est mal

L’École semble aimer particulièrement constituer des groupes d’élèves. Pour les cours de langue, pour la visite de la bibli, pour les cours de négociation et de communication.

Après tout, pourquoi pas, il faut bien subdiviser la promotion pour les cours en petit effectif, et un ordre imposé a l’avantage de contraindre à un brassage de la promotion : le but doit être d’éviter que chacun reste toujours avec ses deux amis.

Sauf que lorsque les groupes sont systématiquement constitués selon l’ordre alphabétique, le brassage devient limité. Certes, selon la taille des groupes, le découpage ne sera pas le même ; mais tout le monde a des chances d’être tout le temps accompagné de ceux qui le précèdent et le suivent immédiatement. Et quand on est le deuxième de la liste alphabétique, la variété est des plus réduites.

Et puis, faire des groupes de convocation pour la photo du trombinoscope, ça me laisse sceptique.

Nous avons passé un concours. Nous avons donc des notes. En général, elles sont données le jour des résultats – on voit mal comment elles pourraient varier après. On aurait pu attendre qu’elles soient envoyées par courrier, ou données sur demande au service des examens, ou quelque chose comme ça.

Eh bien non, elles étaient à retirer lundi 23, entre 13h et 14h30.

27 janvier 2006

La crise du logement n’épargne personne (II)

Dimanche midi.

Bethania et moi dormons encore. Mon téléphone vibre, un appel, un message.

Un peu plus tard, j’écoute le message : on propose à Sam un appartement gratuitement pendant deux ans, il nous laisse donc tomber.

Patatras.

Bethania compatit. Inquiets de la réaction de Gabriel qui n’est pas en grande forme ces jours-ci, nous préférons lui annoncer la nouvelle le soir autour d’un goûter.

Ma préférence va au « on ne change rien » : on essaie de trouver un troisième, ou, au pire, on le prend à deux.

Gabriel est désespéré.

Un calcul finit par nous convaincre du coût très élevé d’une telle location à deux.

On se rabattra donc sur le plan C, que nous avait refilé Mariam : une location touristique de deux pièces au mois.

C’est chose faite lundi soir. La disposition n’est pas idéale, Gabriel doit passer dans ma chambre pour aller dans la sienne, et moi par la sienne pour aller dans la salle de bains. Ce n’est pas donné, non plus. Mais au moins, c’est très grand, très propre, et très équipé. Quand, le vendredi suivant, la voiture de Julien nous permet de déplacer nos malles et cartons éparpillés dans la ville, c’est la fin de 10 jours de précarité.

27 janvier 2006

La crise du logement n’épargne personne (I)

La maison de Mme B*** se situe dans le quartier de l’Orangerie, un élégant quartier de villas du XIXème, où les consulats et missions diplomatiques se sont multipliées depuis que les institutions européennes (Parlement européen, Conseil de l’Europe, Cour Européenne des Droits de l’Homme) se sont installées un peu plus au Nord. La maison est coincée entre les consulats belge et tunisien.

Il s’agit d’une belle maison de maître, qui semble avoir été abandonnée au cours des trente dernières années, ou plutôt occupée par un propriétaire dérangé. L’arrière-jardin a des airs de décharge publique, avec les meubles et les matelas qui y pourrissent. Dans les escaliers traînent une machine à laver et une cuisinière. Les interpaliers et l’interminable sous-sol sont envahis d’un capharnaüm indémêlable.

Le deuxième étage est occupé par un étudiant marocain et une étudiante roumaine. Comme il est occupé, il est un peu plus présentable.

En dessous, des pièces défraîchies, encombrées d’un mobilier vieillot et sombre. Hormis un immense salon au premier, et une grande chambre au rez-de-jardin, toutes les chambres proposées sont toutes petites. Au premier, la cuisine et la salle d’eau sont d’une saleté repoussante, des fils électriques sortent du mur à divers endroits.

G*** et moi, après une heure de désespoir, prenons la résolution de consacrer notre week-end à astiquer tout à la Javel pour rendre tout cela présentable.

Après une nuit dans le froid, il est clair que l’on doit quitter cet endroit.

Le soir, nous rentrons tard pour ne pas croiser Mme B*** qui vient encaisser les loyers des deux autres occupants.

Jeudi après-midi, en quête d’un logement, nous avisons une agence toute proche. La jeune femme qui nous accueille reçoit au même moment un appel de son collègue qui fait à 17h l’état des lieux d’un très grand appart’ qui se libère. Rendez-vous est pris.

À 17h, nous visitons l’appartement avec Samer, qui serait le troisième occupant. 110 m² pour trois, c’est plus que grand. Le loyer serait modique, l’emplacement est très bon. Bien entendu, il est vide, et il faudra donc le meubler. Nous prévoyons un aller-retour à Paris dans 10 jours pour récupérer de quoi le remplir. Avec un peu de chance, nous pourrons emménager lundi prochain.

Jeudi soir, aidés par Julien, nous fuyons le taudis. Gabriel se replie chez son ami Pierre, je squatter avec bonheur chez Bethania. Vendredi, le RDV avec l’employé de l’agence se passe très bien, tous les espoirs sont permis.

6 janvier 2006

Le Départ

Je voulais m'accorder une nuit de sommeil correcte. En me couchant à deux heures, je partais mal. Bien qu'ayant dormi 8 heures sur les deux précédentes nuits, j'ai été pris d'insomnie vers 6h du matin. Ai fini par prendre un des rares bouquins de la chambre - La Fugitive. Après quelques pages, un demi-sommeil est revenu, dont je me suis définitivement tiré vers 8h30.

Départ à 11h. Excitation du départ, surtout pour Bethania, qui essaie de mémoriser le nom des régions et départements - avec leurs chefs-lieux - que nous traversons.

Etape à Reims - 15 jours après mon premier voyage là-bas. L'arrivée en voiture offre une vue unique sur la cathédrale, depuis le fond d'une profonde avenue. Bethania tient à acheter une galette des rois.

La route avec Bethania et Gabriel est vraiment plaisante, la journée est plutôt belle, et, à partir de la Lorraine, les paysages deviennent charmants.

Controverse habituelle avec Gabriel sur le nom de promo.

Après un dernier arrêt à Saverne, entrée dans Strasbourg un peu après 18h. On se gare devant la maison dont nous avons réservé un étage. Et là, c'est le drame.

Publicité
Publicité
Lettres de lEst
Publicité
Publicité